La protection de l’environnement, un héritage juridique

La protection de l’environnement, un héritage juridique

I Le droit, reflet des usages socioculturels

 

Le droit s’impose depuis quelques années comme un moyen de faire face aux enjeux environnementaux. Que ce soit par une modification de la législation ou par des actions en justice contre des États ou des grands groupes industriels, le recours à la loi est un levier qui permet de voir aboutir des actions permettant la protection de l’environnement. Ce droit façonne notre rapport au monde. Dictées par l’humain dans une société qu’il a lui même construite, les lois ne peuvent pas être exemptes d’influence et totalement neutres. En effet, le droit, comme toute construction de la société, la représente et en est par conséquent le reflet. En 1789, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen proclame : “la loi est l’expression de la volonté générale”. Si la législation ne cesse d’évoluer, le système dans lequel elle s’inscrit est relativement stable depuis des siècles en Occident. Ainsi, notre manière d’appréhender notre environnement est sensiblement la même que dans l’Antiquité.

En Occident, on divise généralement le monde en vertu de la summa divisio, c’est-à-dire, en latin, la division la plus élevée. En effet, dans l’antiquité, les Romains classaient le monde en deux catégories. Ils séparaient les sujets de droit, c’est à dire ceux qui ont la personnalité juridique, qui sont doués de droit et d’obligations, de tout le reste : les animaux, la nature, les biens meubles et immeubles. Cette vision du monde, si elle nous est habituelle et nous paraît donc logique et naturelle, est loin d’être universelle. Elle n’est pas partagée par toutes les sociétés. Ainsi, en Bolivie, on reconnaît juridiquement le principe de Pachamama : littéralement Mère-Nature ou Terre-Mère. Cette vision de la nature comme d’un être proche, protecteur et aimé est bien loin de nos modes de pensées occidentaux.

Sans jugement de valeur, nous nous proposons ici d’analyser ce système de pensée, non pas dans une dynamique de dénigrement de notre système au profit d’un autre, mais bien pour obtenir une vision juste et globale de l’héritage idéologique auquel nous sommes sujets. Si cet héritage s’avérait destructeur, peut-être certains fondements nécessiteraient-t-ils une évolution, voire une déconstruction ?

 

 

Être conscient de ce qui nous influence, c’est comprendre que nous ne sommes pas entièrement libres de notre réflexion. Étant intégrés dans une société qui nous façonne, nous ne pouvons pas y habituer sans être aliénés par une doxa qui constitue la pensée dominante. Ce que l’on nous répète depuis notre enfance construit notre manière de penser.  C’est d’ailleurs inévitable  : aucune société ne peut fonctionner sans un système de pensée qui lui est plus ou moins propre. Il semble que nous vivons dans une société libérale, où l’individuel l’emporte sur le collectif. Cela n’a pas toujours été le cas en France.

C’est avec la Révolution française, en concrétisant les idées des Lumières, que cette société commence à voir le jour. Le mouvement des Lumières est un courant de pensée du XVIIIe siècle qui veut le triomphe de la raison sur la foi et qui prône davantage de liberté individuelle. Si ces idées ont permis l’arrivée des démocraties et la fin d’une tyrannie monarchique vectrice d’inégalités, où les puissants, sans autre légitimité que leur naissance, se gavent au détriment d’une extrême majorité de la population, elles incitent aussi tout un chacun à se considérer en individu légitime à prétendre à la richesse, et donc à un certain pouvoir. Là où chacun cherche à s’enrichir personnellement, l’individu n’existait auparavant que par le groupe dont ils faisait partie, comme leur ordre, leur corporation, leurs provinces… C’est à cette époque qu’est conçue l’idée de liberté comme on la pense aujourd’hui : une liberté garantie par l’État où chaque individu est en capacité et a le droit de décider par lui-même de ce qui est bon pour lui. Il semble évident que c’est ce mode de pensée qui rend possible la révolution industrielle. Il paraît alors difficile de limiter l’expansion de ce phénomène sans contraindre la liberté de celui qui entreprend. Ainsi, la Révolution française initiée par des adeptes des Lumières permet aux individus d’accéder à une liberté, tout en mettant naturellement en place ces idées libéralistes. Jeune démocratie, elle ne sait pas encore que les libertés individuelles, finissent par créer des inégalités lorsqu’elle ne sont pas pensées à une échelle collective. La liberté devient alors le contraire de ce qu’elle prônait : un carcan. Ainsi, en 1791, est adopté le décret d’Allarde qui libéralise l’exercice des professions industrielles et artisanales. Ce décret institue la liberté d’entreprendre et la libre concurrence sous réserve de respecter l’ordre public. Le mouvement des Lumières impacte aussi la construction des nouveaux États-Unis et participe donc à l’importance que prendra la révolution industrielle quelques siècles plus tard. Il serait absurde de prôner un retour en arrière à nos sociétés, mais concevons simplement le fait que le libéralisme à outrance finit par voir son poids peser sur les sociétés humaines, sans parler des écosystèmes.

 

II- Le droit comme outil de protection de l’environnement

 

Aujourd’hui, les enjeux environnementaux ne sont pas évoqués à la hauteur du risque qu’ils représentent pour notre civilisation, même si, depuis quelques années, une part croissante de citoyens s’y intéressent et se mobilisent pourque les choses changent. En effet, pendant longtemps, les préoccupations environnementales étaient subordonnées aux préoccupations sanitaires ou de croissance économique et intéressaient peu le citoyen lambda.

Prenons l’exemple de la forêt. Elle a depuis toujours été perçue comme un espace de ressources pour les sociétés humaines. Pendant longtemps, le bois est une des matières principales de la construction et du chauffage. Dès le XVIIe siècle, les défrichements de la forêts française mettent en péril une économie basée sur le commerce avec les colonies. Les chantiers de construction navale se multiplient et on craint alors de manquer de bois. C’est dans ce contexte que Colbert, ministre des Finances de Louis XIV, promulgue l’ordonnance des eaux et forêts (1669). Ce décret vise à permettre la durabilité des ressources en bois, protégeant et restaurant les forêts de France. Ce règlement démontre l’implication de l’État dans la préservation des ressources et donc de la gestion du milieu.

Mais si les ressources naturelles sont des sources de richesses, elles peuvent aussi être à l’origine de nuisances. Il paraît alors nécessaire de protéger la population de ces nuisances afin de préserver la santé de la population et avantager la croissance démographique. La protection de l’environnement était donc subordonnée à l’idée de faire prospérer la société. Cette manière d’envisager la protection de l’environnement comme un outil au service d’un état perdure longtemps. Ainsi, en 2005, la Charte constitutionnelle de l’environnement proclame un « droit à un environnement équilibré et favorable à la santé ». La prospérité est l’état où une personne, une chose est en bonne santé, dans une situation favorable.

Pouvons-nous envisager au XXI e siècle que la prospérité d’une société soit décorrélée d’une croissance économique illimitée ? Pouvons-nous envisager une économie et une industrie raisonnée et responsable comme outils dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre?