Evolutions climatiques, évolutions sociétales

Evolutions climatiques, évolutions sociétales

Introduction

Avez-vous déjà entendu parler de Lakagigar, une fissure volcanique islandaise grande de 27 km de long qui s’est ouverte en 1783? Cette éruption volcanique a été si importante qu’elle a perturbé de façon durable le climat de l’hémisphère nord les années suivantes. Ainsi, en France, au printemps 1789, la lecture des cahiers de doléances est sans équivoque. Les Français ont faim. Ils on faim parce que les hivers 1783 et 1784 ont été bien rudes, si rudes que le marché alimentaire s’est tendu pendant plusieurs années, provoquant ainsi de nombreuses disettes. Bien sûr, on ne peut pas relier la Révolution Française à la simple éruption d’un volcan lointain et ainsi dédouaner les pouvoirs mis en place. Mais l’histoire n’est pas un simple et long chemin qui relie les épisodes entre eux. C’est avant tout une série de causes qui mènent à des bouleversements historiques. Il est donc intéressant de constater que les fluctuations climatiques ont fortement influencé le cours de l’histoire. Cependant, si l’environnement influence l’histoire humaine, il apparaît aussi que l’homme, par ses innovations techniques, induit des bouleversements qui transforment l’environnement de manière irréversible.

I- L'optimum climatique médiéval : l'embellie de l'an mille

Il semble évident que comprendre l’histoire d’un point de vue des évolutions environnementales, c’est aussi comprendre que ces dernières peuvent impacter l’humanité et ses civilisations. Tentons donc d’étudier l’adaptation des sociétés occidentales face aux fluctuations climatiques antérieures.

Reconstruction des températures de l'hémisphère nord depuis 2000 ans [1]

L’optimum climatique médiéval, parfois appelé embelllie de l’an mille, est une période de climat inhabituellement chaud localisé sur les régions de l’Atlantique nord et ayant duré du Xe au XIVe siècle. Il est caractérisé par une longue série d’étés secs, vraisemblablement chauds, qui se montrent dans l’ensemble plutôt favorables aux agriculteurs et « par voie de conséquence, aux consommateurs » selon l’historien Emmanuel Leroy Ladurie. Ce dernier a documenté cet optimum médiéval par les dates des moissons et des vendanges, la dendrochronologie, les écrits de la période ou encore le recul des glaciers alpins. L’ensemble de ses recherches a fait l’objet de l’étude Histoire du climat depuis mille, parue en 1967.

Cet optimum climatique aurait eu également un impact sur l’expansion viking. Le climat ne peut cependant expliquer à lui seul l’âge d’or viking. De nombreux historiens soulignent l’impact de l’optimum. Il a en effet abouti à la fonte des glaces, libérant la mer pour laisser circuler les drakkars. Par ailleurs, cela a permis à Eric Le Rouge la conquête du Groenland en 982. En effet, si nous le connaissons aujourd’hui pour sa calotte glaciaire, il était à l’époque vert et donc cultivable (Groenland = terre verte).

II- Le petit âge glaciaire

Le petit âge glaciaire suit cette embellie de l’an mille. C’est une période climatique froide principalement localisée sur l’Atlantique nord ayant approximativement eu lieu entre le début du XIVe siècle et la fin du XIXe siècle. Elle est caractérisée par une série d’hivers longs et froids. Cette période cause de nombreuses disettes à une population majoritairement rurale et les récoltes sont très dépendantes des données climatiques. Les famines et les épidémies causent la mort de 1 300 000 personnes selon l’historien Emmanuel Leroy Ladurie. En 1709, « le grand hiver » a causé la mort de 600 000 personnes et marque profondément les contemporains. Par ailleurs, les peintures flamandes du XVIIe siècle illustrent le vécu des populations. Elles représentent alors généralement des hivers froids et rigoureux avec de la neige et des fleuves gelés.

Ces deux exemples ne sont pas si anciens que cela à l’échelle de l’humanité. Ils illustrent alors les conséquences terribles d’un dérèglement climatique sur les sociétés.

III-Les ruptures civilisationnelles

Par ailleurs, il est courant d’attribuer le fonctionnement actuel de nos sociétés avec deux grandes ruptures civilisationnelles liées à l’apparition de nouvelles techniques. Ces innovations ont  pour but d’améliorer la qualité de vie de l’homme et sa subsistance. 

En moins 12 000 avant notre ère survient l’holocène, une période de réchauffement global qui contraste avec la période glaciaire. Certaines espèces chassées tendent à se raréfier. Dans le même temps, les conditions sont plus favorables à l’homme pour se développer. C’est à cette époque et plus particulièrement dans le croissant fertile que certaines sociétés humaines, pour assurer leur subsistance, commencent l’élevage et l’agriculture. Avec la sédentarisation de l’espèce humaine, une révolution s’opère dans le lien entre l’Homme et la nature : l’être humain cherche désormais à adapter son environnement à son mode de vie. C’est une grande rupture dans le paradigme Homme-environnement. Homo sapiens ne subit plus les hasards environnementaux : il troque la chance contre la connaissance et le travail agraire. L’agriculture nécessite un nouveau mode de vie et rapidement les premiers villages se construisent. Homo sapiens induit ainsi un changement sociétal persistant.  L’organisation sociale évolue alors pour une société davantage spécialisée qui voit cependant naitre avec elle des inégalités. De manière générale, ceux qui possèdent la terre et les bêtes deviennent puissants, on retrouve alors les premières traces de hiérarchie sociale et les premières guerres de territoires. Cependant, cette division de la société mène aussi à l’innovation technique. C’est ainsi qu’on retrouve des traces d’artisanat comme le tissage, mais aussi des technologies qui permettent aux sociétés un plus grand développement comme les puits ou les chariots à roues. L’agriculture et l’élevage mènent aux premières sélections et les espèces animales ou végétales évoluent et sont domestiquées. Sa nature pousse l’Homme à assurer sa sécurité et notamment à limiter le risque de famine. Les sociétés néolithiques produisent davantage que ce dont elles ont réellement besoin et conservent ce qu’elles produisent en inventant le grenier, par exemple. Les fondements de notre société sont donc posés : la division du travail et le commerce. Très rapidement, les premières villes voient le jour.

Au XIXe siècle, suite au perfectionnement de la machine à vapeur de James Watt, les sociétés occidentales entrent dans le processus de l’industrialisation. S’ensuit alors le basculement d’une société à dominante agraire et artisanale vers une société commerciale et industrielle. Rapidement, cette industrialisation devient le modèle dominant dans le monde, surtout après la Seconde Guerre Mondiale. Il s’ensuit des bouleversements dans les milieux agricoles, économiques et juridiques. Mais l’une des plus grandes conséquences pour la société s’interprète sur le long terme. En effet, la détérioration des milieux persiste jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, l’industrialisation se fait notamment sur la base de plusieurs matières premières qui sont massivement exploitées jusqu’à leur raréfaction. L’activité minière, particulièrement décrite dans le roman Germinal d’Emile Zola, devient l’emblème de ce début d’ère industrielle qui exploite aussi bien l’environnement que l’être humain. Cependant, rapidement, le développement industriel est perçu comme le principal outil de lutte contre la pauvreté. La révolution industrielle inaugure une époque où la croissance est synonyme de prospérité pour les sociétés. Aujourd’hui, il est démontré que cette croissance est dangereuse à long terme, notamment si elle n’est pas contrainte par des règles pour protéger l’environnement. En effet, comme nous venons de le voir, les sociétés humaines sont dépendantes de leur environnement et plus particulièrement du climat. Une société ne peut pas prospérer si elle ne bénéficie pas d’un climat qui l’avantage. Face au dérèglement climatique global, la nécessité de persévérer dans la légifération des activités humaines s’impose. Mais qu’est ce qui conditionne nos modes d’action ?